Cour d'appel de Caen, 1re chambre civile, 4 juin 2024, n° 21/01769 | Doctrine (2024)

AFFAIRE: N° RG 21/01769 -

N° Portalis DBVC-V-B7F-GYYX

ARRÊT N°

JB.

ORIGINE: DÉCISION du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CAEN du 28Avril2021

RG n°18/01123

COUR D’APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 04JUIN2024

APPELANTE:

L’ EARL DE LA POMMERAIS

N° SIRET: 391 675 766

[Adresse 4]'

[Localité 2]

prise en la personne de son représentant légal

représentée par MeVictor DEFRANCQ, avocat au barreau de CAEN,

assistée de MeIvan JURASINOVIC, avocat au barreau de PARIS, substitué par MeBERNIER, avocat au barreau de ANGERS

INTIMÉE:

La SOCIETE COOPERATIVE AGRICOLE ET AGROALIMENTAIRE AGRIAL

N° SIRET: 428 611 719

[Adresse 3]

[Localité 1]

prise en la personne de son représentant légal

représentée par MeFranck THILL, avocat au barreau de CAEN,

assistée de MeNicolas DE LA TASTE, avocat au barreau de NANTES

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ:

M.GUIGUESSON, Président de chambre,

MmeVELMANS, Conseillère,

MmeDELAUBIER, Conseillère,

DÉBATS: A l’audience publique du 19mars2024

GREFFIER: MmeCOLLET

ARRÊT: rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450du code de procédure civile le 04Juin2024et signé par M.GUIGUESSON, président, et MmeCOLLET, greffier

* * *

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTION DES PARTIES

L’Earl de la Pommerais était spécialisée dans le secteur de l’élevage de vaches laitières. Elle avait adhéré à la société coopérative agricole Coralis aux fins d’écouler sa production.

Suite à la fusion de la coopérative Coralis intervenue en juin 2014entre la société coopérative agricole Coralis et la société dénommée Coopérative Agricole et Agro-alimentaire Agrial (ci-après société Agrial), l’Earl de la Pommerais est devenue adhérente de la société Agrial et soumise par voie de conséquence à son règlement intérieur.

A compter du 10septembre2013, l’Earl de la Pommerais avait cessé de produire du lait.

A compter du 1er avril 2015a succédé aux 'quotas laitiers', c’est à dire plus techniquement aux quantités référence laitières (autorisations administratives non négociables), une régulation directe de la production laitière par les acteurs du lait.

Dans un document édité en août 2015destiné à l’information de ses adhérents, intitulé 'gestion des apports', la société Agrial rappelait:

' du droit de produire au droit de commercialisation.

La sortie des quotas a pour conséquence l’évolution du 'droit à produire’ vers un 'droit de commercialisation', engageant ensemble, l’éleveur et la Coopérative Agrial, pour la durée d’adhésion de l’éleveur à Agrial.

Le principal engagement réciproque porte sur le volume de lait produit par l’adhérent et collecté pour être commercialisé par la Coopérative Agrial.

Détermination du droit de commercialisation

Le nouveau droit de commercialisation annuel alloué à l’adhérent producteur de lait au 1er avril correspond à la dernière référence FAM (FranceAgriMer) connue au 31mars2015".

L’article 12du règlement intérieur de la société Agrial 2015consacré au droit de commercialisation stipule notamment:

' cessations: en cas de cessation des livraisons pendant 12mois, le droit de commercialisation sera caduc et ne pourra plus faire l’objet de transfert'.

Le 1er juillet 2015, la société Agrial a adressé à l’Earl de la Pommerais un chèque d’un montant de 8 907,54euros correspondant au remboursem*nt de sa participation au capital social.

Par courrier du 8juillet2015, l’Earl de la Pommerais a informé la société Agrial de son souhait de transmettre sa référence laitière à un autre adhérent, sollicitant 'les démarches à suivre’ pour faire profiter de ce droit à un autre éleveur en indiquant qu’elle bloquait l’encaissem*nt de ce chèque.

Par lettre du 14avril2016, la société Agrial a informé l’Earl de la Pommerais que son 'droit commercial n’était plus transmissible'.

Par courrier avec accusé de réception du 20juillet2016, l’Earl de la Pommerais a mis en demeure la société Agrial de revoir sa position à l’effet de lui permettre de céder son droit de commercialisation ce, en vain.

Par acte en date du 7décembre2017, l’Earl de la Pommerais a fait assigner la société Agrial aux fins d’être indemnisée du préjudice subi en raison de la perte de son droit de commercialisation.

Par jugement du 28avril2021auquel il est renvoyé pour un exposé complet des prétentions en première instance, le tribunal judiciaire de Caen a débouté l’Earl de la Pommerais de toutes ses demandes et l’a condamnée à payer à la société Agrial la somme de 2 000euros sur le fondement de l’article 700du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Par déclaration du 15juin2021, l’Earl de la Pommerais a formé appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 16février2024, l’Earl de la Pommerais demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, au visa des articles 1134et 1147anciens du code civil, et 2044du même code, de:

— dire que la coopérative Agrial a exécuté de mauvaise foi le contrat qui la liait à elle, engageant sa responsabilité civile contractuelle ;

— dire qu’au jour de la demande d’autorisation de la cession du droit de commercialisation par elle, le droit positif permettait la concrétisation d’une cession onéreuse du droit de commercialisation ;

— dire que la société dénommée société Agrial a engagé sa responsabilité civile envers elle au titre de la perte de ses droits de commercialisation (droits de voir collecter sa référence laitière France Agrimer en contrepartie de son adhésion à la coopérative Agrial) ;

— condamner la société Agrial à lui verser une somme de 111 000euros de dommages intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de la date de l’assignation ;

— condamner la société Agrial à lui verser une somme de 6 500euros sur le fondement de l’article 700du code de procédure civile ;

— condamner la société Agrial aux entiers dépens de première instance et d’appel, recouvrés selon les dispositions de l’article 699du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 8janvier2024, la société Coopérative Agricole et Agro-alimentaire Agrial demande à la cour, au visa des articles L.631-24-1et L.631-24-2du code rural et de la pêche maritime, de:

— dire et juger qu’elle est recevable et bien fondée en l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

— rejeter toutes demandes, fins et prétentions contraires ;

En conséquence,

— confirmer le jugement entrepris en l’intégralité de ses dispositions ;

Y ajoutant,

— condamner l’Earl de la Pommerais à lui régler une somme de 10 000euros, au titre de l’article 700du code de procédure civile ;

— condamner la même aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture de l’instruction a été prononcée le 21février2024.

Pour l’exposé complet des prétentions et de l’argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l’article 455du code de procédure civile.

MOTIFS

Le tribunal a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par la l’Earl de la Pommerais au seul motif que le droit de commercialisation, certes transférable, ne pouvait faire l’objet d’une cession à titre onéreux, la société Agrial disposant du droit de refuser l’adhésion d’un nouvel exploitant en application des articles 18et 19de ses statuts.

L’Earl de la Pommerais critique le jugement en ce que, contrairement à ce qui été jugé, sur la période comprise entre la suppression des quotas laitiers à compter du 1er avril 2015et l’entrée en vigueur de la loi n°2016-1691du 9décembre2016dite 'Sapin II", aucune interdiction de cession à titre onéreux des droits de commercialisation n’existait, alors que son projet de cession est en date du mois de juillet 2015.

Elle souligne la mauvaise foi de la société Agrial dans l’exécution du contrat en ce que la société coopérative s’est abstenue de répondre à son courrier du 8juillet2015l’interrogeant sur la possibilité et les modalités d’une cession d’un contrat laitier entre producteurs, pour in fine, lui transmettre par une lettre adressée le 14avril2016, soit neuf mois plus tard, une information décisive, à savoir son autorisation exceptionnelle de transmettre son droit de commercialisation, tout en constatant la perte de ce droit dont elle avait autorisé la cession sans l’en avoir informée préalablement.

En outre, elle reproche à la société Agrial d’avoir refusé de collecter une livraison de lait avant l’expiration du délai de caducité.

L’appelante en déduit que la société Agrial a engagé sa responsabilité et doit réparer le préjudice subi au titre de la perte de son droit de commercialisation, étant relevé que la valeur de ce droit de présentation n’est pas contestée par la coopérative de sorte qu’elle doit être indemnisée du manque à gagner qu’elle a subi en ce qu’elle n’a pas pu compter sur ce prix de cession et a dû contacter plusieurs prêts à ce jour non soldés.

La société Agrial rappelle l’évolution de la réglementation applicable en la matière, comme les droits et obligations de l’adhérent-coopérateur et de la coopérative tels que’ils résultent de ses statuts et de son règlement intérieur conformes aux dispositions applicables en la matière, et affirme que la perte du 'droit de commercialisation', dont elle ne peut en aucun cas être considérée responsable, ne saurait, en droit, constituer un préjudice indemnisable ce, en raison de l’incessibilité à titre onéreux de la référence laitière de l’Earl de la Pommerais.

Elle rappelle qu’en vertu de l’article 12de son règlement intérieur, cas de mutation du capital social, l’éventuel tiers acquéreur qui aurait repris l’activité laitière de l’Earl de la Pommerais et fait l’acquisition de ses parts sociales, se serait substitué à l’ancien associé-adhérent, et devenu propriétaire de l’exploitation, aurait bénéficié des parts sociales détenues dans le capital social de la société Agrial et de la référence laitière, ce à quoi renvoie le droit de commercialisation, sans qu’il ne soit prévu une quelconque valorisation de ce droit pris isolément, étant relevé qu’au regard des principe de la coopération, la coopérative dispose du droit de refuser l’adhésion d’un nouvel exploitant.

Elle fait encore valoir que l’absence de livraison de lait pendant plus de douze mois a entraîné la caducité du 'droit de commercialisation’ en application de l’article 12de son règlement intérieur, ce qui n’est pas contesté.

Elle estime que le courrier adressé le 8juillet2015par l’Earl de la Pommerais n’appelait aucune réponse de sa part, alors que les droits et obligations de l’adhérent-coopérateur sont fixés par ses statuts et le règlement intérieur, et qu’elle a diffusé un communiqué au printemps 2015à tous les adhérents complété par l’envoi d’un document 'Gestion des apports’ informatif suite à la suppression des quotas laitiers. Elle relève au demeurant que l’Earl de la Pommerais était informée de ses obligations si elle souhaitait céder ses parts et transmettre son droit à commercialisation, alors qu’il n’est pas contesté qu’elle a cherché un candidat à cette fin sans attendre la moindre réponse à son courrier.

Elle précise qu’en cas d’une cessation ou d’un arrêt d’activité laitière, l’adhérent cédant peut envisager le transfert du droit de commercialisation vers un autre adhérent apporteur de lait Agrial sous conditions d’un accord des deux parties pour une mutation de la totalité du capital du cédant vers un autre preneur, étant rappelé que dans le cas d’arrêt des livraisons pendant douze mois, le droit alloué à l’associé coopérateur producteur de lait Agrial est caduc.

Elle soutient qu’en réalité, l’Earl de la Pommerais, qui avait cessé toute production laitière depuis septembre 2013n’a jamais envisagé de reprendre le cours de sa production, de sorte qu’il ne peut être reproché à la société coopérative son refus de collecter une livraison de lait intervenue in extremis juste avant l’expiration du délai de 12mois.

Enfin, s’agissant du quantum du préjudice allégué, elle prétend que l’appelante ne justifie pas du préjudice allégué et en tout état de cause, s’est exposée à des pénalités contractuelles dont il convient de tenir compte alors que les modalités de calcul de l’indemnité réclamée ne sont nullement précisées.

Sur ce,

Vu les articles 1134et 1147anciens du code civil,

Il est constant que la société Agrial est une société coopérative agricole dont les adhérents sont des associés coopérateurs. Elle est donc régie par les dispositions des articles L.521-1et suivants du code rural dès lors que ses statuts sont conformes aux dispositions de l’article L.521-3, ce qui en l’espèce ne fait pas débat, et, sous réserve de ces dispositions, par celles issues de la loi du 10septembre1947modifiée portant statut de la coopération et du chapitre 1er du titre III du livre II de la partie législative du code de commerce en application de l’article L.521-6du code rural et de la pêche maritime.

Selon l’article L.521-1, les sociétés coopérative agricoles ont pour objet l’utilisation en commun par les agriculteurs de tous moyens propres à faciliter ou à développer leur activité économique, à améliorer ou à accroître les résultats de cette activité. L’article 3des statuts de la société Agrial vient préciser cet objet au regard des principes dont elle se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité.

L’article L521-3-2indique que le règlement intérieur complète les règles d’organisation et de fonctionnement fixées par les statuts. Il fixe notamment:

1° Les critères et modalités de détermination et de révision du prix des apports, comprenant, le cas échéant, les modalités de prise en compte des indicateurs mentionnés à l’avant-dernier alinéa du III de l’article L.631-24choisis pour calculer ce prix ;

2° Les modalités de détermination du prix des services ou des cessions d’approvisionnement ;

3° Les modalités pratiques de retrait de l’associé coopérateur ;

4° Les modalités du remboursem*nt des parts sociales qui intervient de droit dans le délai maximal prévu par les statuts.

L’engagement d’activité de l’associé coopérateur est formalisé par la signature d’un bulletin d’engagement reprenant la nature, la durée et les modalités de cet engagement.

En adhérent à la société coopérative Coralis, puis par l’effet de la fusion intervenue en juin 2014à la société Agrial, l’Earl de la Pommerais a consenti au contrat qui la lie avec la coopérative, ce qui l’obligeait à souscrire des parts sociales en application de l’article R522-3du code rural, à respecter les règles de fonctionnement interne comme les statuts et le règlement intérieur et, principalement, à apporter tout ou partie de sa production, que la coopérative s’engageait réciproquement à collecter et à commercialiser tout en assurant l’approvisionnement des produits et des équipements nécessaires à l’exploitation.

Ainsi, l’article 2du règlement intérieur stipule que 'cet engagement de production et d’apport s’effectue dans le respect du droit de commercialisation alloué selon la procédure définie à l’article 12du présent règlement intérieur et les associés coopérateurs s’engagent à le respecter'.

L’article 12précise que 'le droit de commercialisation sera déterminé à partir de la référence laitière notifiée par France AgriMer à la date du 31mars2015 (…)'.

L’article 4du même règlement énonce par ailleurs que 'la coopérative s’engage à assurer la mise en marché et la vente de la totalité du lait cru de vache ou de chèvre (…) Dès lors que ces produits (…) correspondent au volume octroyé à ce dernier (l’associé coopérateur) selon les modalités définies à l’article 12du présent règlement intérieur (…).'

Il est constant que l’Earl de la Pommerais a cessé de produire du lait à compter du 10septembre2013, celle-ci ayant souhaité 'cesser son activité’ et 's’orienter vers une autre production agricole'.

Il n’est pas davantage contesté qu’elle a sollicité le remboursem*nt de ses parts sociales courant 2014alors qu’il n’est pas précisé si cette demande de retrait de la coopérative intervenait en cours ou en fin de période d’engagement. En tout état de cause, il est manifeste que cette demande de retrait avait été si ce n’est autorisée à tout le moins actée ce, à compter du 1er juillet 2015, date à laquelle société Agrial a émis une lettre-chèque adressée à l’Earl de la Pommerais en remboursem*nt de ses parts sociales.

Il doit être observé que, jusqu’au 1er avril 2015, le régime des 'quotas laitiers’ institués par l’Union Européenne, toujours en vigueur, relevait d’une autorisation administrative non négociable et il n’est pas allégué la moindre intention de l’Earl de la Pommerais d’une quelconque cession de ses parts dont elle avait sollicité le remboursem*nt.

Au demeurant, entre le 10septembre2013et le 1er juillet 2015, il n’est pas fait état d’un quelconque échange intervenu entre les parties et il n’apparaît pas que l’Earl de la Pommerais se soit manifestée d’une quelconque manière auprès de la coopérative Agrial ni, avant elle, de la coopérative Coralis.

Ainsi, ce n’est qu’à réception de la lettre-chèque précitée et peu après les changements intervenus concernant les références laitières et l’instauration d’une contractualisation des volumes de production entre producteurs et acheteurs à compter du 1er avril 2015, que l’Earl de la Pommerais a repris attache avec la société Agrial par un courrier daté du 8juillet2015rédigé comme suit:

'Je soussigné M. et Mme [W] [D], gérants de l’Earl de la Pommerais déclarent avoir validé auprès de la DDTM la situation de notre entreprise qui lui a confirmé le 3juillet2015qu’elle pouvait attester que la référence laitière en date du 1/04/2015était de 364 712litres.

Votre coopérative, à ce jour, accepte la cessibilité des contrats entre producteurs. Aujourd’hui nous souhaitons transmettre notre référence à un autre adhérent. Merci de nous indiquer la démarche à suivre pour faire profiter de ce droit un autre éleveur laitiers.

Nous devons également pour vous montrer notre entière transparence, vous indiquer que depuis dix-huit mois nous avions demandé le remboursem*nt de nos parts sociales car nous avions cessé de produire le 10septembre2013. Pas plus tard qu’hier nous avons reçu le règlement de celle-ci.

A priori, les parts sociales sont liées au contrat. Par conséquent, nous bloquons l’encaissem*nt de ce chèque et attendons la démarche à suivre pour mettre en place ce transfert de référence, bien évidemment nous avons quelques pistes de cession.'

Il en résulte que nonobstant l’arrêt de sa production laitière depuis plus de 18mois et sa demande de remboursem*nt de parts sociales, l’Earl de la Pommerais a, par ce courrier, de manière opportune, 'en bloquant le remboursem*nt de ses parts sociales’ manifester son intention de demeurer coopérateur-adhérent de la société Agrial, afin de pouvoir céder ses parts et, au-delà, son droit de commercialisation auxquelles celui-ci était lié ce, manifestement, compte-tenu des changements réglementaires opérés et des bénéfices qu’elle croyait pouvoir en retirer.

Il n’apparaît pas en revanche que dans ce courrier, l’Earl de la Pommerais sollicitait expressément une reconnaissance ou une confirmation de sa qualité d’adhérent, ni une autorisation de la coopérative pour céder ses parts sociales et transférer son droit de commercialisation alors qu’elle mentionnait elle-même que la coopérative 'autorisait la cession du droit à commercialisation', mais seulement l’indication 'des démarches à suivre’ alors qu’elle-même 'avait quelques pistes de cession'.

Il n’est pas contesté qu’aucune réponse n’a été apportée à l’Earl de la Pommerais avant sa lettre du 14avril2016.

Cependant, dès lors que l’Earl de la Pommerais s’estimait toujours adhérente de la société Agrial dont elle entendait conserver les parts sociales, il lui revenait d’ores et déjà de se reporter à ses statuts et au règlement intérieur 2015de la coopérative qu’elle était tenue de respecter, qu’elle ne conteste pas formellement avoir reçu dans ses écritures, alors qu’elle même produit un exemplaire du règlement pour s’y référer.

Au demeurant, comme le relève la société Agrial, la teneur de la lettre révèle la connaissance par l’Earl de la Pommerais des principes mis en place par la société coopérative à la suite de la suppression 'des quotas laitiers’ tels qu’énoncés dans son règlement intérieur. Ainsi, l’indication dans cette lettre de l’attestation relative à sa référence laitière en date du 1/04/2015 (364 712litres) à l’appui de la manifestation de son souhait de céder son droit de commercialisation atteste de cette connaissance alors qu’il a été rappelé que l’article 12du règlement intérieur mentionne que 'le droit de commercialisation sera déterminé à partir de la référence laitière notifiée par France AgriMer à la date du 31mars2015 (…)'.

Or, ce même article 12indique sous le titre 'cessations’: 'en cas de cessation des livraisons pendant plus de 12mois, le droit de commercialisation sera caduc et ne pourra plus faire l’objet de transfert'.

En outre, l’article 12-2intitulé 'Transfert du droit de commercialisation’ autorise un tel transfert s’il est associé à une mutation du capital social, et dans la mesure où il ne pourra se faire qu’au sein de la zone actuelle de collecte des adhérents de la Branche Lait Agrial. Il énonce les conditions de mise en oeuvre de ce transfert selon les cas possibles à savoir, le regroupement entre producteurs de lait Agrial, la dissolution de structures sociétaires adhérentes apporteurs de lait Agrial ou la mutation de propriété ou de jouissance d’une exploitation entre deux associés coopérateurs producteurs de Lait Agrial. Dans ce dernier cas, il est indiqué que conformément à l’article 18des statuts, le volume annuel du droit de commercialisation du lait et les parts sociales sont transférés à l’identique au nouvel exploitant sous réserve des conditions qu’il énumère dont celle relative au respect de toutes les obligations prévues par les statuts et le règlement intérieur Agrial ainsi que la condition pour le cédant d’avoir livré dans les 12derniers mois précédent la mutation.

Enfin, les statuts indiquent en ses articles 18et 19les conditions dans lesquelles le conseil d’administration de la société Agrial peut refuser l’admission d’un nouvel exploitant dans le cas de mutation de propriété ou de jouissance d’une exploitation dénoncée par le cédant coopérateur adhérent, ou, dans les autres hypothèses, autoriser le transfert de tout ou partie des parts d’activité ou des parts sociales.

Dès lors, la simple lecture du règlement devait conduire l’Earl de la Pommerais à constater, alors qu’elle considérait disposer d’un droit de commercialisation déterminé par sa référence laitière au 1er avril 2015, qu’elle encourait la caducité de son droit de commercialisation après 12mois d’absence de livraison laitière et qu’au regard des conditions exigées pour le transfert du droit de commercialisation, ce dernier serait compromis à l’issue de ce délai. Si l’Earl de la Pommerais considérait ne pas relever de l’un des cas prévus par le règlement intérieur, il lui appartenait de solliciter expressément et formellement une autorisation à ce titre.

L’Earl de la Pommerais avait d’autant plus connaissance de ces informations qu’elle produit un courrier de ses associés en date du 30mars2016, faisant état du refus de la société Agrial de collecter son lait le 16mars2016, soit 15jours à peine avant l’échéance de 12mois, ce dont il résulte qu’elle a tenté de reprendre une livraison laitière dans le seul but de permettre la cessibilité de ses parts et de son droit de commercialisation à laquelle elle n’était pas parvenue dans le délai de douze mois.

Au demeurant, elle indique dans sa lettre du 19avril que 'ce quota, nous n’avons pu réellement le mettre en vente auprès d’autres éleveurs qu’en début septembre 2015" ce qui révèle qu’elle avait débuté ses recherches en vue d’une cession sans attendre une quelconque réponse de la société Agrial.

Certes, ce n’est que par lettre du 14avril2016, que la société Agrial répondait à l’Earl de la Pommerais à sa lettre du 8juillet2015comme suit:

' Lors du courrier du 8juillet2015, vous nous avez interpellé suite à la mise en place des nouvelles règles internes à la coopérative pour la gestion des volumes. A cette date, vous avez souhaité ne pas bénéficier du remboursem*nt du capital social pour pouvoir le transmettre à un autre adhérent lait.

A titre exceptionnel, la coopérative a répondu favorablement à votre demande.

Comme le stipule le règlement intérieur de la Branche lait, la cessibilité du capital est permise dans les 12mois suivant la date de cessation d’activité laitière. Cette règle a été mise en place dès la fin des systèmes des quotas, à savoir le 1er avril 2015.

Votre date de cessation étant le 10septembre2013, antérieure au 1er avril 2015, vous aviez jusqu’au 31mars2016pour réaliser ce transfert.

A ce jour, nous n’avons toujours pas reçu de transfert vous concernant. Par conséquent, votre droit commercial n’est plus transmissible et votre capital social vous sera remboursé dans les meilleurs délais'.

Il ne peut qu’être relevé le caractère tardif de cette réponse s’agissant de l’information relative à l’autorisation 'exceptionnelle’ donnée à l’Earl de la Pommerais de pouvoir transmettre son capital social à un autre adhérent tout en constatant la caducité de son droit commercial et, en cela, traduit une réticence fautive de la société Agrial dans l’exécution du contrat qui la liait avec celle qu’elle reconnaissait avoir jusqu’alors toujours considéré comme son adhérente.

Pour autant, l’existence d’un lien de causalité avec le préjudice allégué n’est pas établie.

En effet, les éléments précités révèlent que l’absence de cession des parts sociales et de transfert du droit de commercialisation ne résultent pas du défaut d’information relative à l’autorisation donnée par la société Agrial mais du fait que l’Earl de la Pommerais n’a pas trouvé de candidat dans le délai de douze mois requis malgré ses recherches, et de la caducité de son droit de commercialisation intervenue au terme de ce délai en application du règlement intérieur de la société coopérative ce, alors qu’elle avait cessé toute production laitière depuis le 10septembre2013et que la cession envisagée l’obligeait par ailleurs à respecter les dispositions du règlement intérieur de la société Agrial et les obligations en résultant et dont la cour a considéré qu’elle avait eu connaissance. Au demeurant, elle ne fait pas état d’une quelconque proposition concrète à laquelle elle aurait dû renoncer faute d’autorisation de la société Agrial ou d’information sur ce point.

Il ne peut être reproché par ailleurs à la société Agrial d’avoir refusé la collecte d’une livraison de lait réalisée 15jours avant le terme du délai de 12mois alors que l’Earl de la Pommerais ne justifie pas d’une quelconque reprise de production laitière depuis le 10septembre2013et qu’il n’est pas contesté que celle-ci avait du reste vendu son cheptel.

Surtout, ainsi que le tribunal l’a parfaitement considéré, l’Earl de la Pommerais ne justifie pas d’un préjudice indemnisable dès lors que le droit de commercialisation ne pouvait pas faire l’objet d’une cession à titre onéreux, étant observé que l’autorisation donnée par la société Agrial évoquée dans sa lettre du 14avril2016ne portait pas sur une quelconque cession à titre onéreux du droit de commercialisation mais uniquement sur la transmission du capital social à un autre adhérent, acceptant par là-même de différer le remboursem*nt du capital social afin de permettre à l’Earl de la Pommerais de transmettre l’engagement de collecte de la coopérative ce dans les conditions prévues par son règlement intérieur.

Certes, les dispositions issues de la loi n°2016-1691du 9décembre2016codifiées aux articles L 624-31-1et L 624-31-2du code rural et de la pêche maritime interdisant à peine de nullité les cessions à titre onéreux des contrats conclus entre producteurs et acheteurs sont entrées en vigueur à compter du 11décembre2016.

Mais il doit être observé que ces dispositions renvoyaient à l’article L631-24du même code, lequel prévoyait en son point IV, dans sa version alors applicable, que ce texte relatif à 'la conclusion de contrat de vente écrit entre producteurs et acheteurs, ou de proposition de contrats écrits entre les mêmes, ne s’applique pas aux sociétés mentionnées à l’article L.521-1dès lors qu’elles ont remis à leurs associés coopérateurs un exemplaire des statuts ou du règlement intérieur ou les règles ou décisions prévues par ces statuts ou en découlant intégrant les clauses contractuelles mentionnées au I.'

Il s’en suit qu’il convient de se référer aux seuls statuts de la société Agrial et à son règlement intérieur fixant les droits et obligations des coopérateurs-adhérents et de la société coopérative, pour connaître le régime applicable au droit de commercialisation de l’Earl de la Pommerais.

Or, l’article 12déjà cité ne mentionne pas la possibilité de céder le droit de commercialisation à titre onéreux, mais régit les conditions de son évolution possible et les modalités de son transfert dans les hypothèses déjà citées.

Au surplus, l’impossibilité pour l’Earl de la Pommerais de céder à titre onéreux son droit à commercialisation résulte de la nature même de ce droit, lequel, ainsi que le rappelait exactement le tribunal, renvoie à l’engagement réciproque de production et de collecte d’un certain volume de lait entre l’associé coopérateur et la société Agrial, et aux principes mêmes de fonctionnement de la coopération agricole agissant par et pour ses membres, dans les limites de la circonscription territoriale pour laquelle elle a reçu un agrément, et donc marqués par un intuitu personae très fort alors que la société coopérative dispose du droit de refuser l’adhésion d’un nouvel exploitant en application des articles 18et 19de son règlement intérieur.

Les documents produits par l’Earl de la Pommerais pour tenter d’établir qu’une cession à titre onéreux du droit de commercialisation aurait déjà été autorisée par la société Agrial en faveur d’un autre adhérent-coopérateur ne sont pas probants dès lors que le seul document signé par la société coopérative et son adhérent cédant intitulé 'mutation de capital social-transfert de droit de commercialisation-engagement de souscription aux PSAP Agrial’ n’associe au droit de commercialisation aucune autre valeur que celle relative au volume annuel de lait objet de l’engagement et que la facture produite mentionnant une 'vente’ du droit de commercialisation au prix de 49 283,46euros émane du seul adhérent coopérateur cédant.

Les éventuelles opérations réalisées entre agriculteurs pour céder à titre onéreux leur droit de commercialisation ne sauraient valoir reconnaissance par la société Agrial de ce droit nullement consacré dans son règlement intérieur.

Pour l’ensemble de ces motifs, le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par l’Earl de la Pommerais au titre de la perte de son droit de commercialisation.

Par suite, le jugement doit être aussi confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l’application de l’article 700du code de procédure civile.

En revanche, l’équité ne commande pas de faire application de l’article 700du code de procédure civile en cause d’appel en faveur de l’une ou l’autre des parties.

L’Earl de la Pommerais, partie perdante, doit être condamnée aux entiers dépens de la procédure d’appel.

PAR CES MOTIFS:

La cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et rendu en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Caen le 28avril2021en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant,

Rejette toutes les autres demandes des parties en ce compris celles formées en application de l’article 700du code de procédure civile au titre de leurs frais irrépétibles exposés en cause d’appel ;

Condamne l’Earl de la Pommerais aux entiers dépens de la procédure d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

M.COLLET G. GUIGUESSON

Cour d'appel de Caen, 1re chambre civile, 4 juin 2024, n° 21/01769 | Doctrine (2024)
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